Accueil A la une «Mahfel Room 2» à Beït al-Hikma : La musique n’est qu’un prétexte !

«Mahfel Room 2» à Beït al-Hikma : La musique n’est qu’un prétexte !

S’il s’agit en apparence d’un spectacle d’électro stambeli, l’idée va bien au-delà d’une simple prestation musicale. C’est tout un concept à décrypter.

Après le succès de la première édition de « Mahfel Room » qui a eu lieu à la Rachidia au mois de Ramadan dernier, Aziz Mbarek revient avec une deuxième soirée, le 11 juillet, dans un autre emplacement aussi stratégique que symbolique : le Palais Zarrouk plus connu sous l’appellation « Beït al-Hikma ». S’il s’agit en apparence d’un spectacle d’électro stambeli, l’idée va bien au-delà d’une simple prestation musicale. C’est tout un concept à décrypter.

Un écrin parfaitement choisi

Comme pour l’édition précédente, le choix du lieu sublime l’expérience. De style architectural éclectique, le Palais Zarrouk mêle des influences turques, arabes et andalouses. Ses voûtes, ses colonnes et ses lustres accentuent l’aspect esthétique de l’évènement. De plus, il tire sa notoriété de sa position géographique, comme il donne sur la mer, et de son histoire. 

En effet, le palais qui abrite aujourd’hui l’Académie tunisienne Beït al-Hikma fut édifié vers 1860 par le général Ahmed Zarrouk, gendre d’Ali Bey. Situé à Carthage, au pied de la colline et à proximité des Thermes d’Antonin, ce lieu est aussi particulièrement riche en vestiges archéologiques datant du Ve siècle av. J.-C.

En 1922, le palais fut acquis par Habib Bey, puis il devint, entre 1943 et 1957, la résidence officielle de Mohamed Lamine Bey, dernier souverain de Tunisie. Ce site a également été le théâtre de plusieurs événements historiques majeurs comme la réception de Jules Ferry lors de l’établissement du Protectorat français ou encore, en 1954, la déclaration de l’autonomie interne de la Tunisie par Pierre Mendès-France.

Après l’Indépendance, le palais a accueilli plusieurs institutions culturelles, dont l’Institut national d’archéologie, avant de devenir en 1992 le siège de l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts Beït al-Hikma. Il organise tout au long de l’année des événements culturels soutenus avec des invités majoritairement de chercheurs et d’intellectuels. Avec «Mahfel Room», un public totalement différent est tombé sous le charme de cet endroit que la grande majorité découvre pour la première fois.

Le patrimoine au cœur du concept

Faire venir trois DJ à Beït al-Hikma peut, de prime abord, surprendre. L’idée de voir les participants danser sous les regards figés de Hichem Djaït, Mahmoud Messadi, Taher Ben Achour et d’autres grandes figures, dont les portraits ornent les murs du hall principal peut sembler déconcertante.

Or, le principe de «Mahfel Room» ne se limite pas à jouer une musique inspirée du patrimoine tunisien avec une touche innovante. Des stands ont été organisés pour présenter des créations traditionnelles incluant vêtements, accessoires, délices culinaires. Tout est pensé pour plonger le visiteur dans un univers profondément enraciné dans la culture traditionnelle.

La soirée, marquée sold out, a accueilli 250 participants. Est-ce qu’il a été difficile de convaincre les responsables d’organiser ce genre d’événements dans un monument aussi prestigieux ? Aziz Mbarek nous a expliqué qu’il s’agit d’obtenir une licence régie par un cahier des charges puis de s’adresser à la direction du lieu cible pour proposer un éventuel partenariat. Selon lui, on encourage de plus en plus ces initiatives culturelles qui ciblent les jeunes en premier lieu. On aspire par ce fait à les encourager à découvrir des lieux emblématiques sous un autre cadre qui corresponde à leurs goûts.

D’ailleurs, la promotion de «Mahfel Room2» s’est faite à travers une radio privée et principalement sur Instagram pour atteindre le public cible. Lors de cet événement qui s’est étalé sur 5 heures de 18h00 à 23h00, la musique ne s’est donc pas présentée comme une fin en soi. Elle sert ici de tremplin pour promouvoir l’ensemble du patrimoine, de l’architecture à l’artisanat et au-delà. 

L’âme du stambeli au rythme de l’électro

Le stambali est l’expression artistique d’une pratique rituelle mêlant musique, chant et danse, héritée d’un métissage entre cultures africaines et maghrébines. Elle témoigne de l’histoire migratoire et des croisements interculturels de ses initiateurs marqués par leur rencontre avec la civilisation arabo-musulmane.

Souvent présentée comme un folklore musical lors de festivals ou d’événements publics, cette pratique porte en réalité une mémoire douloureuse. Ses rythmes puissants, ses sonorités brutes et ses chants habités traduisent les épreuves vécues par ceux que l’Histoire a réduits en esclavage. D’ailleurs, selon la tradition, le bruit même de leurs chaînes de fer aurait inspiré le rythme si singulier du stambali.

Des Chaînes aux Ondes, le spectacle de «Mahfel Room» où  la transe rencontre la techno, réunit en exclusivité Belhassan Mihoub, célèbre figure de stambeli, et le DJ de renommée Don Pac. Le public a assisté à un show en live avec les principaux instruments de ce genre de musique. Les notes du gumbrī (un luth à trois cordes) et les shqāshiq (crotales en fer)  se sont mêlées aux sonorités de la musique électronique qui ont amplifié et digitalisé le stambeli.

Un danseur a également enflammé la scène avec son costume authentique et ses mouvements. Dans le grand hall du palais, les spectateurs, debout, ont été profondément impressionnés par le show. Ils ont même accompagné les mouvements de danse rythmés par la voix puissante de  Belhassan Mihoub. Difficile de résister à cette énergie contagieuse, même pour les participants étrangers venus en grand nombre découvrir un pan de notre patrimoine menacé de disparaître. 

Aziz Mbarek poursuit ainsi avec succès cette aventure audacieuse accueillie avec enthousiasme par les participants. Son ambition reste la même : initier les jeunes à des lieux chargés d’histoire tout en les reconnectant à une musique d’antan. Pour les attirer et maintenir leur intérêt, les sons électroniques demeurent un outil de médiation efficace. D’autres sites historiques sont déjà envisagés pour les prochaines étapes de ce parcours original. Nous y reviendrons.

Charger plus d'articles
Charger plus par Amal BOU OUNI
Charger plus dans A la une

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *